16 propositions pour garantir une gestion exemplaire des forêts métropolitaines

Sur la base d’estimations erronées de l’Inventaire Forestier National, partiellement corrigées depuis, l’Etat français a engagé en 2007 une politique forestière fondée sur une augmentation irréaliste et dangereuse des volumes de bois coupés en forêt. Cette politique productiviste a été confirmée par le programme national de la forêt et du bois (décret du 10 février 2017), qui vise essentiellement à augmenter la récolte de 30% d’ici 2026, puis davantage encore d’ici 2035.

Ce programme vise également à artificialiser les forêts et industrialiser leur exploitation. Une telle orientation tourne le dos au progrès dans l’intégration des processus biologiques, qui a caractérisé la sylviculture des années 1980-1990, et l’évolution de l’agriculture moderne.

Cette politique s’appuie sur :
– une réduction, ininterrompue depuis 2002, des incitations à la multifonctionnalité des forêts, comme du nombre de professionnels forestiers de terrain au sein des établissements publics (ONF et CRPF),
– une évolution des incitations publiques dans le domaine privé en forêt, en faveur d’une filière simplifiée basée sur la productivité matière et les économies d’échelle,
– une politique énergétique européenne misant sur le « tout bois énergie », facteur d’aggravation des crises écologiques, et qui condamne par avance toute possibilité de gestion forestière durable.

Le collectif SOS Forêt France, composé de professionnels et de citoyens attachés à ce bien commun qu’est la forêt, dénonce la campagne de communication menée par France Bois Forêt pour habiller de vert le dogme actuel qui ne résout en rien les défis de la forêt française. Loin d’être moderne et vertueuse, cette politique s’annonce désastreuse à court, moyen et long terme.

Un autre politique s’impose, réellement pourvoyeuse de bienfaits économiques, écologiques et sociaux. Salutaire pour répondre aux immenses défis écologiques actuels, elle doit être connue du grand public. Elle est fondée, entre autres, sur les principes suivants.

Réaffirmer la multifonctionnalité de la gestion forestière

1. Le Code Forestier français est exemplaire en termes de gestion durable des ressources des forêts. Depuis 2001, il fonde notamment la gestion forestière sur une gestion multifonctionnelle équilibrant les fonctions sociales, économiques et écologiques, en vue d’optimiser l’ensemble des valeurs, biens et services produits par les forêts. Il doit redevenir le socle des décisions politiques.

2. La politique de séparation des fonctions dans l’espace, l’intensification de la production partout avec surexploitation locale (décapitalisation, prélèvement supérieur à l’accroissement) et l’extraction des souches et rémanents de coupes doivent être suspendus d’urgence, et évalués sur les plans écologique, économique, social, mais aussi juridique, vis-à-vis du Code forestier et du Code de l’Environnement (dont les Directives Oiseaux et Habitats définissant le réseau européen Natura 2000).

3. La mise en œuvre efficiente du Code Forestier doit être garantie par des forestiers en nombre suffisant, et de plus assermentés, polyvalents et réglementairement responsables d’un territoire, en toute transparence avec les instances de concertation existantes et les acteurs des territoires. Dans les forêts privées, les personnels chargés de l’application et du contrôle de la Loi et ceux qui orientent les pratiques, doivent être implantés en Régions et sur le terrain, avec les moyens humains, techniques et juridiques leur permettant de contrôler la durabilité des pratiques de gestion.

4. L’obligation d’une analyse approfondie et équilibrée des trois fonctions écologiques, sociales et économiques, et ce pour toute forêt publique comme privée quelle que soit sa taille, doit être restaurée dans les directives et orientations pour la rédaction des plans de gestion forestiers, par opposition aux politiques actuelles de simplification vers un objectif unique de production matière et argent. Le développement de plans de gestion au rabais (« aménagements simples », « règlements types de gestion » en forêt publique, manque de moyens pour l’agrément des plans de gestion en forêt privée) doit être stoppé pour revenir à une situation réellement conforme aux lois et règlements.

5. Les projets de plan de gestion forestier, publics et privés, parce qu’ils sont susceptibles de modifier profondément le milieu forestier, avec toutes les conséquences environnementales et sociales qui en découlent, doivent faire l’objet d’un porté à connaissance annuel étendu à toutes les acteurs, usagers ou associations intéressés à ladite forêt, permettant une transparence et une concertation formelle. Il en est de même pour les projets de travaux d’aménagement touchant la voirie et l’hydraulique en forêt.

6. Le suivi périodique de l’application des plans de gestion forestiers doit être rendu public et tout changement doit faire l’objet d’un mémoire explicatif, justifiant le parti pris.

7. La forêt publique française doit devenir un véritable réseau écologique forestier, juridiquement opposable : forêts de protection, programme de restauration des continuités forestières et des cours d’eau forestiers (trame verte et bleue), sauvegarde et développement des zones de grande valeur patrimoniale (Réserves Biologiques Intégrales, Ilots de sénescence, zones Natura 2000, ZNIEFF….)…

8.La forêt linéaire (ripisylve, rangées d’arbres et haies d’essences autochtones) doit retrouver la place qu’elle a perdue dans le paysage ouvert péri et inter-forestier et dans l’économie locale. Il s’agit d’une contribution décisive pour restaurer les continuités biologiques, en développant si nécessaire un programme de replantations pérennes avec bandes enherbées, mesure complémentaire à la conservation des dernières prairies naturelles et zones humides. Cette forêt linéaire participe à la biodiversité et est une ressource en bois nécessaire localement.

Pour une filière bois valorisant les atouts maîtres de la forêt française

9. Les politiques publiques doivent soutenir toute initiative en faveur de l’apport de valeur ajoutée à la matière première, en donnant la priorité à la transformation locale du bois d’œuvre et visant à limiter l’export de bois brut. La forêt française produit suffisamment, mais la filière exporte trop de bois non transformé et importe trop de produits finis, perdant ainsi des emplois et la majeure partie de la valeur ajoutée. L’outil industriel et les scieries doivent s’appuyer sur les atouts maîtres de la production forestière française : diversité surtout en feuillus, bois de qualité et forte valeur (ex. chêne), tradition de sylviculture de qualité. Il doit être mis fin à la politique actuelle de promotion d’une sylviculture intensive artificialisant et fragilisant nos forêts. Ce modèle ne bénéficie qu’à la spéculation à court terme au bénéfice de quelques-uns ; il appauvrit les dimensions sociales, écologiques et économiques du patrimoine forestier, ainsi que la richesse nationale et l’emploi dans la filière.

10. L’isolation des bâtiments et les économies d’énergie dans tous les domaines doivent être la priorité de la politique énergétique. Les politiques publiques doivent conditionner leurs aides financières dans le domaine énergétique à la maîtrise préalable de la consommation d’énergie. Tout projet industriel, en particulier bois-énergie, doit être disqualifié s’il est sans rapport avec la ressource forestière d’un territoire et n’assure pas un bilan écologique et énergétique optimal, et n’est pas alimenté préférentiellement en produits connexes de scieries. Une relocalisation dans les territoires et le développement de petites unités de production d’énergie en co-génération proches de la ressource est l’alternative principale à promouvoir.

Pour des sylvicultures de qualité

11. Une sylviculture en harmonie avec la productivité naturelle et potentielle de la forêt, produisant des gros bois de qualité en vue d’une utilisation en bois d’œuvre, maximise le stockage du carbone en forêt et dans le bois utilisé. Elle est aussi la plus efficace pour le maintien à long terme de la fertilité des sols et de la santé des forêts. Elle participe donc de manière optimale à la lutte contre les changements climatiques. Ce n’est pas le cas des sylvicultures simplistes promues actuellement par les principaux acteurs institutionnels (responsables politiques, lobbies industriels et de plus en plus de laboratoires de recherche ou de centres de formation).

12. Les méthodes de sylviculture favorables à la biodiversité permettent, tout en concentrant la production sur les bois de valeur, le développement des mesures en faveur des bois âgés ou sénescents, du maintien d’arbres et bois morts, et des surfaces en non gestion volontaire. Ces espaces en libre évolution sont importants pour les équilibres biologiques ; la biodiversité est un outil du forestier, bien plus qu’une contrainte.

13. Les sylvicultures promues doivent être économes en travaux et en impacts, pour des raisons écologiques (conservation de la fertilité des sols par exemple) comme économiques (rentabilité maximale). Pour cela une sylviculture de qualité dimensionne ses actions avec prudence et souci de l’avenir (notamment les dimensions des engins de débardage, de coupe, de transport).

14. Les mesures d’intensification et d’artificialisation de la sylviculture actuellement imposées sous la pression du gouvernement français, doivent être suspendues d’urgence et évaluées sur les plans écologique, économique, social et juridique, vis-à-vis du Code forestier et du Code de l’Environnement.

Sont visés en particulier :
– la diminution des âges (et dimensions) d’exploitation des arbres ;
– le niveau de prélèvement demandé en forêt quand il est sans rapport avec les données locales de possibilité en volume et d’accroissement connues par les forestiers de terrain ;
– l’enrésinement de parcelles feuillues et la monoculture qu’elle soit feuillue ou résineuse ;
– la généralisation de l’abattage mécanisé et des engins de débardage lourds, ainsi que le resserrement des cloisonnements d’exploitation lié à ces modes d’exploitation ;
– l’exploitation des rémanents d’exploitation et l’extraction de souches, qui appauvrissent les sols et risque de libérer un stock de carbone atmosphérique considérable.

15. Face aux risques liés au changement climatique, le principe de précaution intangible doit être la recherche d’une diversité naturelle d’essences indigènes (et de provenances régionales, en cas de plantation). Il est scientifiquement non fondé et choquant d’inciter – sous couvert de changement climatique – aux substitutions d’essences et aux sylvicultures à courte révolution, avec toutes les incertitudes techniques et tous les risques écologiques et économiques que cela comporte.

Éducation – Culture

16. L’éducation forestière publique et les métiers de la forêt doivent être mieux connus et développés. Le déclin de cette filière de formation en France, pourtant mondialement réputée depuis deux siècles, est inquiétant. Comment développer une politique forestière de qualité, préparant les forêts de ce siècle et du prochain, sans le développement d’une culture forestière fondée sur la compréhension de l’écosystème, des enjeux économiques, des besoins des territoires et des multiples solutions d’ingénierie envisageables pour y répondre ? Sensibiliser le grand public et les jeunes aux rôles primordiaux de la Forêt, faire découvrir sa richesse, inciter à son respect, associer le citoyen à la gestion participative de la forêt dans son territoire, c’est garantir à long terme sa protection, prévenir et savoir aborder les conflits d’usage. Cela contribue à développer un politique de gestion durable, partagée et exemplaire de la forêt française. Des structures telles que les centres permanents d’initiatives pour l’environnement (CPIE) doivent être aidées voire récréés, de même que la formation continue des forestiers.