Le lobby industriel des planteurs d’arbres a bien travaillé : le rapport préconise de planter et de financer massivement ces plantations. L’augmentation des prélèvements prévue n’est pas remise en cause. Le risque est grand que la filière se rue sur cette manne financière pour industrialiser encore plus vite la forêt… au prétexte du changement climatique. D’autant que pendant l’été, la filière s’est dépêchée de négocier la relance d’aides à la plantation ( 200 millions d’euros) auprès du ministre de l’agriculture sans aucune contre partie. Le rapport présente cependant un certain nombre de points positifs.
La création d’un fonds pour l’avenir des forêts
Ce fonds, doté de 100 millions par an, serait principalement destiné à planter* massivement, (70 millions d’arbres par an pendant 30 ans) au prétexte d’adapter la forêt au changement climatique sans attendre d’y voir clair sur les différentes stratégies possibles. Une telle campagne de plantation “préventive”, risque de ne pas laisser d’espace a des alternatives d’adaptation moins interventionnistes s’appuyant sur les dynamiques naturelles.
Point positif toutefois, le texte conditionne ces aides : Les opérations financées par le fonds devront donc impérativement respecter des critères d’éco-conditionnalité et ne peuvent s’envisager sans un débat, une coconstruction et un consensus obtenus dans le cadre d’approches territoriales, de type chartes forestières de territoire. C’est à cette échelle que l’adaptation aux caractéristiques des milieux naturels et au contexte sociétal est efficace, compte tenu de la diversité des situations territoriales dans notre pays. Les élus locaux ont vocation à porter ces démarches. Si l’intention semble louable et une réelle co-construction avec associations et citoyens indispensable (une de nos propositions), le débat au niveau niveau local est actuellement noyauté par la filière ; ceux d’entre nous qui ont négocié les chartes forestières et autres plans forêt bois n’ont pas observé de résultat sur le terrain en matière de sylviculture, nous avons certaines raisons de rester dubitatifs sur les modalités d’application. Les garanties d’une vraie place du citoyen dans les vraies commissions qui vont décider des mesures restent à définir. La bataille pour une vraie place des citoyens dans le débat ne fait que commencer !
La limitation des coupes rases
Une recommandation forte inspirée de nos propositions et de la proposition de loi de Mathilde Panot : la limitation des coupes rases à 2 ha sauf sanitaires ou peuplements irrécupérables du point de vue économique et environnemental. A.-L. Cattelot préconise aussi une dérogation possible jusqu’à 10 ha dans certaines régions… Cette disposition présente un gros risque de contournement de la disposition. SOS forêt et la Convention citoyenne pour le climat préconisent une limitation à 0,5 ha et bien sûr sans dérogation hormis des causes sanitaires avérées. Même sous cette forme moins restrictive que notre préconisation, son application pourrait faire changer sensiblement les choses dans certains territoires si elle était retenue par le gouvernement.
Une protection et une industrialisation renforcées !
Un certain nombre de recommandations sur la biodiversité, l’augmentation importante d’aires protégées forestières, la prise en compte des trames vertes, des vieilles forêts semblent aller dans le bon sens. Cependant le parti pris semble être : une protection renforcée d’un coté et, en contre partie, la confirmation d’une évolution industrielle de la grande majorité des forêts. Les autres modes de gestions forestières comme une sylviculture proche de la nature et continue type “méthode Prosylva”, telle que préconisées par SOS forêt, RAF, Canopée… ne sont même pas évoquées comme une option.
“Adapter” la forêt au changement climatique
La stratégie d’anticiper, enrichir et adapter à l’aune de nos connaissances les peuplements vulnérables peut tout à fait sous entendre le remplacement des forêts d’essences indigènes par des plantations d’essences exotiques dites “adaptées” ou génétiquement modifiées et ce, avant qu’elles ne dépérissent. C’est une logique extraordinairement prétentieuse mais surtout très risquée pour les écosystèmes et la biodiversité. Alors que le rapport reconnait par ailleurs de nombreuses incertitudes scientifiques sur ce point, il semble trancher d’ores et déjà le sujet au bénéfice des tenants du grand remplacement anticipé de la forêt : pépiniéristes, planteurs, coopératives forestières, industriels.
Le renouvellement des peuplements par reboisements artificiels n’est pas la seule solution à mettre en œuvre pour répondre aux problèmes sanitaires qui se multiplient. Ce type de réponse ne devrait être mis en œuvre que lorsque les traitements irréguliers en couvert continu ou la libre évolution des peuplements se heurtent à des difficultés insolubles.
Le modèle industriel, “l’anticipation” du changement climatique et l’augmentation massive des prélèvements aggraveront aussi le changement climatique comme le démontre la synthèse Canopée/ Fern des études scientifiques sur le sujet.
La taxation des petites parcelles en libre évolution de fait
La proposition de taxation des petites parcelles non gérées, bien souvent des niches de biodiversités liées à une libre évolution de fait, va conduire à amplifier les coupes rases qui resterons autorisées sur ces parcelles ou à pousser les petits propriétaires à les vendre. À qui ? Aux grands propriétaires ? Aux groupes financiers ? À Veolia ? À Total ?
Création d’un service unifié et d’un ministère dédié
Le rapport propose de créer un ministère dédié rattaché à l’environnement et un service unifié. C’est un point positif bien que les modalités de mise en œuvre restent très floues.
En effet, la Tutelle du Ministère de l’Agriculture ne répond pas au critère de gestion sur le long terme qui s’applique aux espaces forestiers. Systématiquement, les préoccupations du monde agricole priment sur celles liées à la forêt. La réponse insuffisante suite à la crise sanitaire de l’été 2019 ayant entraîné des dépérissements en masse, en est un exemple flagrant.
Renforcer la recherche et réunifier l’ensemble des services en charge de la forêt : oui mais dans quel cadre ? Avec quel statut ? Quel moyens humains et financiers, quel cadre d’emploi pour les personnels ? La solution avancée de la création d’une agence de la la Forêt (ANF) semble n’être qu’une réponse imparfaite à l’état actuel de délabrement des services en charge de la forêt par suite des politiques austéritaires qui ont laminé les effectifs tant au ministère de l’agriculture et ses services déconcentrés, qu’à l’ONF, à l’IFN ou encore dans les CRPF.
Il faudrait recréer une grande administration forestière au sein d’un véritable ministère de la forêt et des espaces naturels, prenant complètement en charge les problématiques de préventions et de lutte contre les risques découlant des dérèglements climatiques (inondations, glissements de terrain, incendies…). Tout cela sous l’égide d’un ministère agissant en lien avec les territoires, dotés de personnels fonctionnaires habilités à remplir les missions de police et d’intérêt général, et d’agents de l’Etat, planifiant les actions sur le long terme et pourvu de moyens financiers à la hauteur des enjeux.
Un début du débat citoyen ?
Le rapport pourrait toutefois avoir le mérite de mettre le sujet forestier en débat. À nous, associations et citoyens de parvenir à amplifier notre audience et alerter l’opinion sur l’enjeu fort actuel pour l’avenir de nos forêts.
- *Dans la plupart des cas, la plantation est l’aveu d’une erreur de gestion ou la suite logique d’une pratique délétère : la coupe rase. Les plantations en général et en monoculture en particulier sont beaucoup moins résilientes que les forêts mélangées en régénération naturelle, mais les erreurs des années 70 ne découragent pas les tenants de la mise au pas de la nature. Les alternatives efficaces, plus résilientes, plus protectrices de la biodiversité, des sols de l’eau, et qui ont démontré leur rentabilité économique à long terme et leur capacité à stocker plus de carbone sont passées par perte et profits. Les plantations qui devraient être exceptionnelles sont en passe de devenir la norme. Il faut dire que dans l’esprit du public, la plantation reste un geste positif et les multiples startups pseudo écologistes qui génèrent du business avec la plantation d’arbres n’aident pas à éclairer le citoyen sur la pertinence de cette pratique. À nous tous de la faire.