Comment l’état essaie de justifier l’idéologie industrialiste
Les synthèses qui président aux orientations des décideurs, arrivent depuis plus de trente ans toujours à la même conclusion : il faut planter du résineux. En effet le marché, tel qu’il est structuré aujourd’hui est déficitaire en résineux et l’État, lorsqu’il s’occupe du dossier, cherche par tous les moyens à combler ce déficit, donc à adapter, coûte que coûte, la forêt à l’industrie.
Après avoir un temps occulté la question écologique au détriment de la question économique, les notes officielles de la dernière décennie cherchent plutôt à justifier l’accroissement de la récolte avec des arguments écologiques. Il semblerait que les études, qui vont dans le sens d’un accroissement de la récolte sont mieux prises en compte que celles qui alertent sur l’effondrement de la biodiversité… Les progrès de la science ne sont pas toujours pris en compte et certains chiffres très contestables ont la vie dure. On ne peut que constater l’évitement de certains sujets comme l’incidence du type de sylviculture, le cloisonnement de certains raisonnements comme le traitement du cycle du carbone sans jamais tenir compte de la biodiversité. On assiste parfois à des simplifications stupéfiantes qui deviennent la justification d’une politique lourde de conséquences comme le concept de « neutralité carbone ».
Mais les décideurs sont aussi influencés par les lobbies qui ne reculent pas devant les amalgames grossiers et les raccourcis audacieux… par exemple :
- Le changement climatique qui sert de prétexte fallacieux visant à raser des écosystèmes forestiers pour les remplacer par des plantations monospécifiques d’essences soi-disant plus résistantes à la sécheresse. Or une forêt complexe, diversifiée et vieille de plusieurs siècles est plus résiliente qu’un boisement composé d’une seule essence.
- La plantation de résineux qui, poussant plus vite, permettrait de stocker plus de bois en forêt puis dans le bois utilisé dans la construction , en oubliant au passage tout le carbone du sol rejeté par la coupe rase précédent cette plantation (et qui lui succèdera).
Une communication décomplexée des lobbies qui ne trouve pas de réplique significative de la part des contrepouvoirs écologistes jusqu’à ce jour, ni de controverse scientifique suffisante.
En savoir plus
a. La ressource bois et son renouvellement
Max BRUCIAMACCHIE – Enseignant-chercheur à Agroparistech
Max BRUCIAMACCHIE précise que la forêt génère depuis longtemps en France une activité économique de premier plan : on exploite environ 60 Millions de mètres-cubes par an, au sein d’une filière qui représente plus de 400 000 emplois. En particulier, il rappelle que le bois énergie a toujours existé sous diverses formes, même si l’échelle de production atteinte ces dernières années est inédite depuis 50 ans.
Cependant, il constate actuellement une grande confusion dans l’appréhension des paramètres à considérer pour fixer le niveau d’utilisation de cette ressource, qui conduisent à faire croire au plus grand nombre et en particulier aux investisseurs industriels qu’un gisement de bois supplémentaire existe en France, qui ne demande qu’à être exploité.
La quantité de bois sur pied dans l’ensemble des forêts métropolitaines est de l’ordre de 2,5 Milliards de mètres-cubes : mobiliser cette ressource reviendrait à raser toute la forêt, puis à attendre plusieurs décennies (voire siècles) pour qu’elle repousse. On admet donc assez couramment qu’il convient de ne prélever que l’accroissement annuel naturel. Or l’accroissement en mètres-cubes de bois par an, mais plus encore sa part mobilisable est techniquement difficile à connaître avec précision, si bien que cette donnée fait l’objet de polémiques depuis plusieurs années.
Les rapports parlementaires se succèdent pourtant en France depuis
plus de trente ans pour appeler à une mobilisation de volumes de bois
supplémentaires (cf. un résumé dans Neyroumande et Vallauri, 2011[1]).
Max BRUCIAMACCHIE estime qu’un tournant a été pris depuis le Grenelle
de l’Environnement en 2007 : une estimation non consolidée par
l’Inventaire Forestier National de la production biologique de la forêt
de France métropolitaine à 106 Millions de mètres-cubes annuels a ouvert
le champ à l’impératif de « produire plus de bois ».
Ce chiffre montrait en effet une augmentation d’accroissement annuel de
30% sur 25 ans, et s’avérait bien supérieur aux 60 à 70 Millions de
mètres-cubes mobilisés chaque année. Or l’IFN a ensuite précisé que ce
chiffre était surestimé de 20%, sans que soient remis à plat les
objectifs d’exploitation supplémentaire.
Pour autant, connaître la production ne peut suffire à bâtir une politique d’exploitation durable. Il convient d’ajouter au moins deux paramètres : la disponibilité, et le mode de valorisation de la forêt souhaité par le propriétaire.[2] La disponibilité, qui intègre par exemple les possibilités techniques (voire financières) d’accès à la ressource est un facteur limitant puisque les zones exploitables à des coûts raisonnables sont déjà équipées en desserte même si elles ne représentent que 40% de la surface de certains massifs montagneux. La disposition du propriétaire de mettre ou pas en marché le bois de sa forêt intervient également.
[1] – http://www.wwf.fr/vous_informer/rapports_pdf_a_telecharger/?1160/regards-sur-la-politique-des-forets-en-france-2011
[2] – Pour approfondir le lien entre les modes d’exploitation et de valorisation du bois et de la forêt, et les cycles du carbone, voir notamment le rapport « Le carbone forestier en mouvements : éléments de réflexion pour une politique maximisant les atouts du bois. » Magali Rossi pour le REFORA (Réseau écologique forestier Rhône-Alpes), 2015.
[3] – http://www.wwf.fr/vous_informer/rapports_pdf_a_telecharger/?1160/regards-sur-la-politique-des-forets-en-france-2011
[4] – Pour approfondir le lien entre les modes d’exploitation et de valorisation du bois et de la forêt, et les cycles du carbone, voir notamment le rapport « Le carbone forestier en mouvements : éléments de réflexion pour une politique maximisant les atouts du bois. » Magali Rossi pour le REFORA (Réseau écologique forestier Rhône-Alpes), 2015.
b. La soi-disant sous-exploitation de la forêt Française en question.
La forêt française : volume de bois sur pied, accroissement et récolte
Philippe Canal Secrétaire général du Snupfen solidaire (Syndicat majoritaire de l’ONF)
1 Le volume sur pied
En France métropolitaine le volume sur pied moyen est estimé à 161 m3/ha (source IFN 2015).
Il est souvent affirmé que la forêt française de métropole serait sur capitalisée et donc que la récolte de bois pourrait prélever l’accroissement naturel voire plus. Qu’en est-il ?
Comparons avec les autre pays européens (source Eurostat 2014) :
Pays | Volume sur pied moyen (m3/ha) |
Allemagne | 315 |
Autriche | 292 |
République tchèque | 289 |
Belgique | 246 |
Pologne | 219 |
France | 161 |
Italie | 158 |
Royaume uni | 132 |
Portugal | 54 |
Espagne | 50 |
Il est souvent avancé que contrairement aux pays dont la forêt apparait plus « riche », la France comporte une forêt méditerranéenne, par nature, moins productive. La forêt méditerranéenne française couvre 1,785 million d’hectares soit 11 % de la forêt française (source IGN 2015). Si l’on divise le volume estimé de la forêt française (2 584 Mm3) et qu’on le divise par la surface de cette forêt hors zone méditerranéenne (14,169 Mha), le volume moyen serait de 182 m3/ha. Ce niveau de volume sur pied reste très inférieur à ceux de nos voisins du nord même les plus proches.
Conclusion : au travers de ces données chiffrées, la forêt française n’apparait pas sur capitalisée. Dans notre pays, cet avis est d’ailleurs largement partagé par un grand nombre des gestionnaires publics et privés
2 L’accroissement annuel ou production biologique annuelle de la forêt française
L’accroissement calculé par l’Inventaire Forestier National (IFN) fait débat depuis longtemps chez de nombreux gestionnaires qui le jugent sur estimé.
De 1970 à 2008 l’IFN a appliqué une méthode de calcul conduisant à affirmer que la production annuelle de la forêt française s’élevait à 103 millions de m3 (Mm3). Le Grenelle de l’environnement et les Assises de la Forêt (2007), le discours d’Urmatt de Nicolas Sarkozy sur le développement de la filière bois (2009) basé sur le rapport Puech (2009) se sont appuyés sur ce niveau de production annuelle pour décider que la récolte annuelle de bois en France devrait augmenter de 20 millions de m3 à l’horizon 2020.
En 2011 l’Inventaire Forestier National (IFN) a reconnu que sa méthode de calcul avait conduit à sur estimé de 16 % la production annuelle biologique de la forêt française qui se situerait plutôt à 85 millions de m3 … soit 18 Mm3 de moins que ses précédentes estimations.
Source : l’IF n°28 – 3ème et 4ème trimestres 2011 – « Prélèvements de bois en forêt et production biologique » – pages 11 et 12 (joint à ce dossier)
Malgré la reconnaissance par l’IFN de sa forte sur estimation jusqu’en 2008 de la production annuelle biologique, l’objectif de la puissance publique d’augmenter à l’horizon 2020 de 20 Mm3 la récolte de bois en France n’a jamais été remise en cause. Cette remise en cause aurait eu deux conséquences potentielles :
- Soit réviser fortement à la baisse la part envisagée des énergies renouvelables, basées principalement sur la biomasse (chaleur, électricité …) dans la production d’énergie nationale
- Soit maintenir cet objectif mais au détriment des usages traditionnels du bois (bois d’œuvre, trituration, papèterie, bois bûche ..) : conflit d’usages.
3 La récolte de bois en France
Le niveau de récolte annuel n’est pas mesuré mais estimé sur la base :
- des déclarations faites par les exploitants (enquête de branche « exploitation forestière »)
- des déclarations d’auto consommation faites par les ménages (enquête logement INSEE)
- et depuis 2011 par des estimations de récolte faites sur le terrain par l’IFN
L’IFN estime la récolte annuelle à 62-64 Mm3.
Source : l’IF n°28 – 3ème et 4ème trimestres 2011 – « Prélèvements de bois en forêt et production biologique » – pages 5 à 7 (joint à ce dossier)
Il est communément admis que la récolte peut difficilement aller au-delà de 70 % de la production biologique pour les raisons suivantes :
- 32% de la forêt française est difficilement à très difficilement exploitable du fait de pentes importantes ou de défauts de desserte principalement dans les nombreuses forêts de montagne (source IGN 2015 Indicateurs de gestion durable page 150)
- de très nombreux petits propriétaires privés ne sont pas intéressés à récolter du bois : méconnaissance de leur forêt et souvent de leur localisation, valeur affective …
Conclusion : la récolte annuelle de bois correspondrait actuellement à un prélèvement de 75 % de la production biologique. Ce qui invalide en grande partie les objectifs affichés d’augmentation de la récolte de bois …dans le cadre d’une gestion durable.