Le collectif national Air-Santé-Climat, rejoint par une dizaine d’associations dénonce comme “une aberration sanitaire et climatique” les subventions au développement du bois énergie et demande au ministère de la Transition écologique d’y mettre fin. SOS Forêt relaie sa lettre ouverte, qui reprend plusieurs de nos arguments contre l’industrialisation du bois énergie.
Quand on parle de particule fines et de maladies respiratoires, la première cause qui vient à l’esprit, ce sont les émissions des moteurs diesel. Pourtant, rappelle le collectif Air-Santé-Climat, “le bois est de très loin la principale source d’émissions de particules fines et ultrafines”. L’image romantique du feu de cheminée n’aide pas à en faire comprendre le danger sanitaire : “l’utilisation de poêles à bois – même récents – triple le niveau de particules fines à l’intérieur de la maison et augmente significativement le risque de cancers du poumon lors d’une utilisation régulière”.
Constitué de médecins et de chercheurs, le collectif national Air-Santé-Climat est rejoint par une dizaine d’associations militant pour la qualité de l’air pour dénoncer une nouvelle fois l’”aberration sanitaire et climatique” que constitue l’encouragement à se chauffer au bois. En 2020 déjà, s’appuyant sur une étude qui confirmait que les particules de combustion, notamment de la biomasse, sont les plus toxiques, il appelait en effet le ministère de la Transition écologique “à ne plus encourager le développement de la filière bois-énergie”.
Aux arguments sanitaires s’ajoutent les arguments climatiques : “brûler du bois pour produire de l’énergie émet plus de CO2 que le gaz naturel, le charbon ou le fioul par kilowattheure produit.” C’est ce que disent les membres de SOS Forêt depuis sa fondation, et même avant, à l’instar du Snupfen-Solidaires, dans un rapport publié il y a quinze ans.
Si le bois de chauffage est bien un matériau renouvelable, il est aussi un matériau principalement constitué de carbone. Ainsi, le bois dégage t-il (avant correction par des filtres) de 132 à 165 kg de CO2 par giga joule utile contre 62 à 70 pour le gaz ou le fioul, et 2 fois plus d’oxydes d’azote ou 1000 fois plus de méthane (27 fois plus nocif pour l’effet de serre que le CO2) ou monoxyde de Carbone.
[…] Nous, forestiers, qui prônons une gestion durable, renouvelable et à long terme ne pouvons que constater que la motivation principale de l’utilisation du bois énergie est économique, et que sa véritable vocation (la substitution) ne s’entend que s’il s’agit de réduire globalement les rejets, et non, comme c’est le cas actuellement de permettre de disposer de ressources supplémentaires pour rejeter encore plus de gaz à effets de serre.
L’utilisation du bois d’œuvre ou d’industrie stabilisable (qui ne retourne pas à la décomposition) est le seul stockage effectif du carbone végétal permettant de réduire la quantité en circulation dans l’atmosphère.
Le bois énergie, enjeux, perspectives et risques, Snupfen-Solidaires, rapport publié en 2009.
Depuis ce rapport et les alertes répétées de la communauté scientifique, la situation de la forêt française s’est aggravée. L’effondrement du puits de carbone et les dépérissements massifs conduisent au constat, établi notamment par Canopée dans son rapport de février 2023, Bois énergie : l’équation impossible, que nous n’avons pas la ressource pour remplacer les combustibles fossiles par le bois. Pourtant les gouvernements successifs n’ont pourtant pas revu leur politique d’encouragement au bois énergie.
SOS Forêt relaie donc la lettre ouverte du collectif Air-Santé-Climat et rappelle le principe énoncé dans la dixième de nos 16 propositions pour la forêt : “Les politiques publiques doivent conditionner leurs aides financières dans le domaine énergétique à la maîtrise préalable de la consommation d’énergie. Tout projet industriel, en particulier bois-énergie, doit être disqualifié s’il est sans rapport avec la ressource forestière d’un territoire et n’assure pas un bilan écologique et énergétique optimal, et n’est pas alimenté préférentiellement en produits connexes de scieries”.
La lettre ouverte du collectif Air-Santé-Climat
“Madame la Ministre,
Votre budget tristement insuffisant vous offre une réelle « opportunité » – en supprimant les subventions au bois énergie – de faire des économies tout en agissant durablement et efficacement pour la santé de nos concitoyens et de nos forêts.
À l’heure où les enjeux liés au dérèglement climatique n’ont jamais été aussi visibles, nous partageons votre légitime frustration et votre colère face aux contraintes budgétaires de votre ministère. Néanmoins, l’heure est venue de poser une question cruciale : pourquoi, alors que nous sommes contraints de faire des choix budgétaires difficiles, continuer à subventionner le bois énergie, dont l’impact délétère climatique et sanitaire n’est plus à démontrer ?
Rappelons que le bois énergie regroupe la production de chaleur et d’électricité par la combustion du bois, et inclut donc le chauffage au bois collectif (centrales industrielles et collectives) et des particuliers (bûches ou granulés). Le bois énergie, souvent considéré comme une énergie « renouvelable » et « bas carbone », bénéficie à ce titre de larges subventions et d’aides publiques. L’Agence de la transition écologique (Ademe) distribue chaque année des centaines de millions d’euros pour soutenir son développement. Il bénéficie également d’une TVA réduite à 10 % (contre 20 % pour le bois d’œuvre), du Fonds chaleur (dont une part importante est utilisée pour financer les installations de biomasse), du Fonds air-bois, de MaPrimeRénov’, de la prime CEE, et est exonéré de la taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques (TICPE).
Or les émissions de dioxyde de carbone (CO2) issues de la combustion du bois sont loin d’être négligeables. Brûler du bois pour produire de l’énergie émet plus de CO2 que le gaz naturel, le charbon ou le fioul par kilowattheure produit. À cela s’ajoutent les délais de régénération des forêts : il faudra plusieurs décennies pour que le CO2 émis par la combustion du bois soit à nouveau séquestré, ce qui rend son usage inadapté dans un contexte d’urgence climatique, comme l’ont rappelé des scientifiques du Giec, qui estiment que le développement du bois énergie augmentera d’au moins 10 % les émissions de gaz à effet de serre dans les dix prochaines années.
De plus, le puits de carbone forestier s’effondre et certaines de nos forêts émettent désormais du CO2. En seulement dix ans, elles ont perdu la moitié de leur capacité d’absorption du carbone.
Mais le problème de la combustion du bois est aussi et surtout un enjeu sanitaire majeur, car la combustion du bois génère bien plus de particules fines et de gaz toxiques que n’importe quelle autre énergie. Le bois est de très loin la principale source d’émissions de particules fines et ultrafines et n’épargne pas les villes françaises, où la part du chauffage au bois représente moins de 10 % des modes de chauffage mais déjà plus de 70 % des émissions de particules fines, par exemple Strasbourg.
Le chauffage au bois est également délétère pour l’air intérieur, des études montrant que l’utilisation de poêles à bois – même récents – triple le niveau de particules fines à l’intérieur de la maison et augmente significativement le risque de cancers du poumon lors d’une utilisation régulière.
La combustion du bois est également le principal émetteur de métaux lourds, de composés organiques volatils et semi-volatils tels que les hydrocarbures aromatiques polycycliques (HAP), cancérigènes et perturbateurs endocriniens.
Certes, l’amélioration des appareils certifiés et l’utilisation de filtres dans les chaudières collectives réduisent une part importante de ces émissions, mais celles de polluants restent préoccupantes, notamment en termes de particules ultrafines.
De plus, les subventions accordées à ces appareils récents créent un « appel d’air » et entraînent un développement massif du chauffage au bois là où il n’existait pas ou peu, notamment dans les grandes métropoles. Ce développement du bois énergie dans des zones denses, déjà très polluées, est extrêmement préjudiciable pour la santé des habitants et devrait nous obliger à interdire tout appareil de chauffage au bois dans les métropoles, suivant ainsi l’exemple de Londres ou d’Utrecht.
Combien de milliards d’euros d’argent public a-t-on déjà distribués pendant plus de vingt ans en subventionnant les motorisations diesel via le bonus-malus écologique, au détriment de la santé de tous ? Cette tragique erreur est en train de se répéter et rien ni personne ne parviennent à l’arrêter, malgré les appels de scientifiques, de médecins, de collectifs et d’associations qui se battent contre l’installation de centrales biomasse à proximité d’écoles ou d’habitations.
Lutter efficacement contre la pollution de l’air sera, de plus, assurément bénéfique aux finances publiques puisque le Sénat estimait en 2015 le coût économique de la pollution de l’air à 101,3 milliards d’euros par an en France et qu’un rapport récent quantifiait à 19 milliards d’euros le coût spécifique de la pollution de l’air intérieur.
En cessant de subventionner les aides aux installations de chauffage au bois, collectives ou individuelles, ou au minimum en les adaptant au contexte local (en évitant par exemple les zones densément peuplées, polluées), vous enverrez un message clair aux Français : celui d’un gouvernement déterminé à investir dans la transition écologique, favorisant le stockage du carbone dans des produits à longue durée de vie (charpente, matériaux d’isolation) sans nuire aux écosystèmes ni à la santé des citoyens.”
Les signataires :
- Dr Thomas Bourdrel, collectif Strasbourg respire ; collectif Air-Santé-Climat
- Pr Isabella Annesi-Maesano, directrice de recherche Inserm, professeure d’épidémiologie environnementale à l’université de Montpellier ; collectif Air Santé-Climat
- Dr Gilles Dixsaut, Comité francilien contre les maladies respiratoires ; collectif Air-Santé-Climat
- Dr Pierre Souvet, président de l’Association santé environnement France (Asef) ; collectif Air-Santé-Climat
- Dr Mallory Guyon, Collectif environnement santé 74 ; collectif Air-Santé-Climat
- Guillaume Muller, Association Val-de-Marne en transition ; collectif Air-Santé Climat
- Tony Renucci, directeur général de l’association Respire
- Jean-Baptiste Renard, directeur de recherche au CNRS
- Association Sucy environnement transition
- Collectif fontenaysien pour la qualité de l’air
- Muriel Auprince, Coll’Air pur
- Association pour le respect du site du Mont-Blanc (ARSMB)
- Association APPEPHE (Association pour la préservation, la protection et la défense de l’environnement, de la qualité de vie et des paysages des hauts d’Évian)
- Association SOS MCS
- Collectif anti-nuisances de FNE13