Photovoltaïque au sol : le Conseil national de la protection de la nature donne raison aux militants écologistes

Études insuffisantes ou douteuses, absence de coordination territoriale, surdimensionnement, contournement des règles de protection des espèces protégées, personnel insuffisant en nombre et en qualification pour évaluer et contrôler… Le Conseil national de la protection de la nature (CNPN) a enquêté sur le déploiement du photovoltaïque. Il formule 21 recommandations pour « intégrer la conservation de la biodiversité » et « appliquer les textes afférents dans la stratégie de planification et d’aide au déploiement des 80 GW d’énergie photovoltaïque envisagés pour les 25 prochaines années ».

Image : centrale solaire sur la Montagne de Lure, Elzéard, Lure en Résistance

Parce qu’elle est « une des productions d’énergie qui consomme le plus d’espace, du fait de son faible facteur de charge » et devant l’accélération phénoménale des chantiers d’installation de panneaux photovoltaïques au sol, le CNPN s’est auto-saisi à l’unanimité pour enquêter sur la politique française de déploiement du photovoltaïque. Il a rendu son avis le 19 juin dernier. SOS Forêt vous en recommande vivement la lecture : ce texte est un point d’appui dans les luttes que mènent les militants écologistes contre les projets photovoltaïques écocidaires qui sont en train de recouvrir le territoire.

Cet avis est aussi un encouragement à poursuivre leur recension : aussi ahurissant que cela puisse paraître, « actuellement, relève le CNPN, « il n’existe pas encore en France de dispositif fonctionnel permettant de suivre l’évolution de l’emprise des constructions de centrales photovoltaïques au sol. Aucun acteur n’est en mesure de connaître précisément le nombre d’hectares de forêts, de garrigues ou de pelouses sèches qui préexistaient sur les emplacements des actuelles centrales photovoltaïques à l’échelle nationale ».

Une accélération incontrôlée des installations

Entre 2009 et 2020, 10 GW d’énergie photovoltaïque ont été installés en France. Puis le rythme s’est accéléré : en 2023 plus de 3 GW ont été installés et le cap des 20 GW a été dépassé : une multiplication par trois du rythme annuel. La France est ainsi devenue début 2024 la troisième puissance photovoltaïque de l’Union européenne. Et ce n’est pas fini : d’abord fixé par E. Macron1 à 100 GW à l’horizon 2050, l’objectif a été rehaussé par le Secrétariat général à la planification écologique à 140 GW, soit plus de 5 GW par an (l’équivalent de la surface de la ville de Paris tous les deux ans), dont 90 GW seraient déployés au sol.

Au sol, mais où ? La simple logique, surtout si l’on considère l’absolue nécessité de préserver la végétation, captatrice de carbone, commande de privilégier les endroits déjà artificialisés comme les parkings. C’est ce que disent les associations écologistes. C’est ce que recommande la Stratégie nationale de biodiversité 2030 (SNB3) qui ambitionne, par son action 15, à « renforcer les enjeux de prise en compte de la biodiversité dans les projets d’infrastructures énergétiques », comme rappelle le CNPN, pour qui « la question de la compatibilité de cette ambition » de déploiement « avec les programmes de lutte contre l’érosion de la biodiversité se pose ».

« L’objectif de 100 GW peut être atteint en mobilisant uniquement des espaces artificiels (toitures, hangars agricoles existants, parkings, routes, etc.) »

Or, à lire son rapport, on comprend assez vite que la biodiversité est le dernier des soucis des industriels et que l’État est loin de se donner les moyens de remplir ses obligations en la matière. Il n’existe même pas de cadastre solaire fonctionnel à l’échelle nationale pour les toits et les parkings, « ce qui complique la planification nécessaire », euphémise le CNPN, et d’ailleurs, équiper les parkings n’est manifestement pas considéré comme une urgence, puisque l’exécutif projette de reporter l’obligation d’installation sur les parkings de plus de 10 000 mètres carrés.

Pendant ce temps, « l’installation de ces centrales sur des espaces naturels et semi-naturels s’amplifie, au point que de nombreux scientifiques alertent les instances publiques sur le risque d’incohérence entre le développement des énergies renouvelables sur des milieux naturels et semi-naturels d’une part et les enjeux de préservation des puits de carbone et de la biodiversité d’autre part. En France, nombre d’écosystèmes présentant une grande richesse en espèces sont détruits au motif qu’il s’agit d’anciennes carrières, de friches, ou de forêts jugées à faible ‟enjeu” ou à faible ‟patrimonialité” ou encore d’espaces agricoles, naturels ou forestiers considérés comme ‟incultes”. »

Des parcs surdimensionnés

« Avec cet accroissement de la consommation foncière », note le CNPN, « des incompréhensions se font jour autour du développement de projets photovoltaïques au sol, sur des écosystèmes forestiers et des zones humides qui constituent autant de puits de carbone et posant des questions de cohérence dans l’application des politiques publiques, y compris pour le paysage ». Et de citer « par exemple les projets sur la Montagne de Lure, dans les Alpes de Haute-Provence, en forêt jurassienne et en Guyane ».

La taille des projets2 s’accroît et le CNPN constate « une augmentation substantielle des surfaces d’emprise des projets, comme de leurs impacts écologiques potentiels », avec aujourd’hui des emprises « atteignant parfois 500 ha sur les étangs de Fos-sur-Mer et même 680 ha (projet Horizeo porté par Engie et Neoen en Gironde) », note le CNPN, alors que « les effets aux différentes échelles spatiales de cette filière sur la biodiversité, y compris sur ses fonctions et services associés – dont celui de régulation du climat, restent insuffisamment connues des usagers et des décideurs ».

« une fois les émissions liées à la construction de la centrale et des panneaux décomptées, c’est entre un quart et un tiers des émissions évitées qu’il faut décompter du fait du défrichement. »

Des études sur-mesure pour la filière

Comment sont donc étudiés les conséquences du recouvrement photovoltaïque ? Ses promoteurs soutiennent que les dommages à l’environnement sont faibles. Ils se basent notamment sur une étude3 publiée en décembre 2020.

Problème : le CNPN rappelle que cette étude a été réalisée « sur la base des suivis environnementaux réalisés par les développeurs de ces centrales » et qu’« en l’absence de protocoles standardisés et d’un jeu de données scientifiquement robuste, les résultats issus de cette étude ne font pas l’objet d’un consensus. De nombreuses études scientifiques validées par les pairs tendent par ailleurs à mettre en évidence la réalité des impacts sur la biodiversité de ces installations énergétiques ».

Des dossiers expédiés faute de budgets publics

Dans son avis, le CNPN de la nature déplore que « cette forte recrudescence de projets empêche une instruction et une évaluation environnementale suffisantes pour tous les dossiers, dans un contexte où les effectifs du ministère de la Transition Écologique ont fortement décliné, y compris dans les services instructeurs déconcentrés de l’État».

Le fait est. Depuis des années, que ce soit au niveau de l’administration centrale qui a perdu le tiers de ses effectifs ou dans les services qui dépendent du ministère (à commencer bien sûr par l’ONF…), les syndicats alertent sur les conséquences du manque de personnel pour assurer les missions. Et si l’on en croit les « fuites » concernant les lettres-plafonds des ministères pour le budget 2025, l’Écologie pourrait encore subir de nouvelles coupes.

Ainsi, le budget du Fonds vert, permettant la transition des collectivités ‒ notamment l’installation de panneaux photovoltaïques sur les bâtiments publics ‒ serait divisé par deux (1 milliard d’euros en 2025, alors qu’il était déjà passé de 2,5 à 2 milliards d’euros en avril dernier) et celui de l’Agence de la transition écologique (Ademe) serait réduit de plus d’un tiers et limité à 900 millions d’euros.

Résultat : les dossiers sont contrôlés à la va-vite, voire pas contrôlés du tout. Selon le CNPN, « la part d’avis favorables tacites émis par les Missions régionales d’autorité environnementale atteint 25 % pour les centrales photovoltaïques ».

Incompétence et contournement des règles de protection des espèces protégées

Les agents publics ne sont pas les seuls à être débordés. Le privé, censé si l’on en croit nos dirigeants être tellement plus efficace que le public (au point que l’externalisation est devenue la norme) est loin d’être à la hauteur. L’activité des bureaux d’étude en écologie qui accompagnent les entreprises « est actuellement en telle croissance que les compétences viennent à manquer et que les délais d’expertise se tendent. Ils proposent par conséquent des études de qualité très variable, que ce soit en matière d’évaluation des incidences de ces installations sur la faune et la flore ou de proposition de mesures ‟éviter, réduire, compenser” ».

Comment les centrales solaires
détruisent la biodiversité

La loi d’accélération de la production des énergies renouvelables (dite loi « APER ») n’exclut aucun milieu naturel d’un équipement photovoltaïque, même au sein des aires protégées. « En détruisant les écosystèmes préexistants » (selon les termes du CNPN), les centrales photovoltaïques ont pour conséquence :

Photo : Pic épeiche © MAB
  • « une perte d’habitat de nidification et d’alimentation pour les oiseaux » ;
  • « la disparition d’arbres utilisés par les chauves-souris pour se reproduire, hiberner ou chasser » ;
  • « un appauvrissement de la flore ‒ tant en quantité qu’en diversité ‒ et des insectes pollinisateurs qui y sont associés » ;
  • « la mortalité de la petite faune qui s’y trouve lors des travaux, en particulier les reptiles et les amphibiens en phase terrestre » ;
  • la constitution de « pièges pour les insectes polarotactiques » (ce sont les espèces qui sont guidées par la polarisation horizontale de la lumière qui se réfléchit sur l’eau, et qui viennent y pondre ou s’y poser ) ;
  • des collisions avec les oiseaux et les chiroptères ;
  • des ruptures de continuités écologiques pour les mammifères, du fait des clôtures de protection

Les mesures de réduction d’impact « visant à rendre les centrales photovoltaïques attractives pour la biodiversité sont nécessaires mais généralement insuffisamment menées et souffrent encore d’un défaut d’évaluation de leurs effets.

« Lorsqu’elles existent, les mesures compensatoires présentent le plus souvent une trop faible ambition et sont sous-dimensionnées par rapport aux impacts résiduels du projet ».

Pire, le CNPN rapporte que « les entretiens avec les services déconcentrés de l’État indiquent systématiquement que les développeurs mandatent les bureaux d’étude avec l’objectif d’éviter d’avoir à demander une dérogation ‟espèces protégées” ». Cela implique que l’objectif d’absence de perte nette de biodiversité « n’est ni discuté, ni vérifié par les instances scientifiques et techniques ». Ainsi, en 2022 et 2023, 11 % seulement des projets de centrales photovoltaïques au sol ayant nécessité une évaluation environnementale a fait l’objet d’une demande de dérogation « espèces protégées » et, donc, de mesures compensatoires associées.

Pourquoi éviter une telle procédure ? Parce que lorsque des dérogations sont demandées, « près des deux-tiers d’entre elles ne passent pas le filtre des exigences législatives et règlementaires en matière de mise en œuvre de la séquence éviter, réduire, compenser et de respect des conditions d’octroi, d’après les avis émis par le CNPN »4.

Mais ce n’est pas tout ! « Malgré cela, ajoute le Conseil, la quasi-totalité des projets sont autorisés, y compris malgré les avis défavorables des instances de conseil scientifique et technique. Les garde-fous de la législation et de la règlementation sont contournés et ceux inscrits aux appels d’offre de la Commission de régulation de l’énergie (CRE) sont insuffisants. »

Les 21 recommandations du CNPN

Elles sont détaillées dans l’avis (que vous pouvez consulter plus bas) du CNPN. Il comporte d’utiles informations juridiques, scientifiques et techniques tout à fait lisibles, même pour qui ne connaît rien à la question.

  1. Mettre un terme à l’implantation de centrales photovoltaïques au sol dans les aires protégées et les espaces semi-naturels, naturels et forestiers.
  2. Réguler davantage l’installation de centrales photovoltaïques sur les sites qualifiés de « dégradés ».
  3. Développer l’agrivoltaïsme en cohérence avec l’agroécologie, à l’échelle de la parcelle, de l’exploitation et du territoire.
  4. Inventorier les plans d’eau susceptibles d’accueillir des projets photovoltaïques.
  5. Fixer dans la prochaine programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE) un objectif chiffré ambitieux d’énergie solaire sur les bâtiments en 2030 et 2035.
  6. Fixer dans la prochaine PPE un objectif minimum de 15 GW d’énergie solaire sur les parkings en 2030 et établir un cadastre solaire des parkings.
  7. Inciter à privilégier l’effort de production aux zones densément peuplées.
  8. Modifier les critères de notation dans les appels d’offre publics.
  9. Soumettre à autorisation au titre de la règlementation ICPE les centrales photovoltaïques au sol de plus de 1 MW.
  10. Améliorer le processus d’instruction des dossiers.
  11. Clarifier la procédure de déclenchement de la demande de dérogation espèces protégées.
  12. Améliorer l’information du public.
  13. Mettre en œuvre les meilleures techniques disponibles permettant de réduire efficacement l’impact des centrales photovoltaïques.
  14. Planifier par les territoires et rendre plus efficace la compensation de l’impact des centrales photovoltaïques au sol.
  15. Mettre en œuvre la règlementation en matière de compensation écologique.
  16. Améliorer le suivi standardisé des centrales existantes.
  17. Mettre en place un programme de suivis des mortalités potentielles dans un échantillon de centrales photovoltaïques au sol existantes.
  18. Développer des actions de recherche pour pallier les lacunes de connaissance en matière de caractérisation des incidences du photovoltaïque sur la biodiversité et le fonctionnement des écosystèmes.
  19. La relocalisation souhaitée de la chaîne de production doit se faire sans détruire les écosystèmes.
  20. Le soutien aux technologies prometteuses.
  21. Réduire l’attractivité des panneaux photovoltaïques pour la faune polarotactique.

Le texte complet de l’avis


Notes :

  1. Discours prononcé à Belfort le 10 février 2022. ↩︎
  2. La surface nécessaire pour un parc photovoltaïque au sol sur un terrain plat est d’environ 750 kilowatt crête (kWc) par hectare. Pour une pente d’environ 10 % orienté sud en Europe, ce chiffre peut parvenir au même ratio, soit 825 kWc par hectare. ↩︎
  3. Cette étude, commandée par le Syndicat des Énergies Renouvelables, Enerplan et des collectivités territoriales (régions PACA, Occitanie et Nouvelle-Aquitaine), a été réalisée par ICare Consult et le bureau d’étude Biotope. ↩︎
  4. Le CNPN est régulièrement saisi pour avis sur des projets photovoltaïques ayant une incidence sur des espèces protégées dites « de compétence nationale », dont les populations sont menacées d’extinction ou en déclin notable. ↩︎

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