Soigner moins, brûler plus : le projet de loi de finances continue de sacrifier les forêts

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À contresens des nécessités imposées par l’état dégradé des forêts françaises, le projet de loi de finances (PLF) présenté à l’Assemblée nationale privilégie, pour la forêt aussi, la réduction des moyens de l’État avec de nouvelles coupes dans les effectifs de l’Office national des forêts (ONF) et maintient le financement d’un “renouvellement” forestier qui transforme les écosystèmes en usines à produire du bois.

Le bouleversement climatique et l’augmentation de la charge de travail confiée à l’ONF (lutte contre le risque d’incendies, adaptation pour faire face au bouleversement climatique…) auraient pu faire croire à une prise de conscience. Les suppressions de postes qui avaient été prévues dans le contrat État-ONF pour 2023 et 2024 avaient été annulées. Avec le dépôt de deux propositions de loi, dont une transpartisane qui prévoyait un renforcement du service public de la forêt, on se prenait même à croire qu’une augmentation des effectifs serait envisagée.

Dans un rapport sur l’ONF publié il y a tout juste un mois, la Cour des comptes, constatant que “soumis pendant de nombreuses années à des schémas d’emplois contraignants visant à réduire ses effectifs (-12,3 % depuis 2013) et, par conséquent sa masse salariale, les moyens humains de l’établissement apparaissent désormais insuffisants pour répondre aux missions croissantes qui lui sont assignées”, concluait que “l’ONF restera tributaire des subventions de l’État pour poursuivre sa mission de gestion durable des forêts publiques”.

Nouvelle saignée du service public des forêts

La Cour recommandait “une priorisation des objectifs” de l’ONF et “l’adaptation de ses moyens humains et financiers afin qu’il puisse y répondre”. Voilà donc les objectifs du gouvernement “priorisés” dans le projet de loi de finances déposé le 10 octobre 2024 à l’Assemblée nationale, et détaillés dans le “projet annuel de performances“.

C’est au détriment des forêts : non seulement le PLF annonce la suppression de 95 postes, mais les missions forestières de l’Office se verraient en plus privées de 154 équivalent-temps plein supplémentaires, en grande partie transférés vers sa filiale Vegetis, dont l’activité est orientée vers l’entretien des espaces environnant les infrastructures de réseaux (voies ferrées, canaux, lignes électriques, etc.), l’entretien de parcs urbains…

C’est aussi au détriment des personnels de l’ONF, déjà réduits de plus d’un tiers en vingt ans (de 12 500 à 8 000), à qui sont confiées des surfaces impossibles à gérer sans épuisement. “Supprimer encore des postes, c’est intenable, on ne pourra plus assurer nos missions”, s’est indigné Patrice Martin, dans une déclaration à l’AFP. Le secrétaire général du Snupfen-Solidaires, syndicat majoritaire à l’ONF, membre de SOS Forêt, a annoncé la préparation d’un “amendement pour rehausser les effectifs de l’office” de “478 ETP, soit un par service, parce que tous les services sont à l’os aujourd’hui”.

Les communes forestières dénoncent une suppression de postes “inacceptable”

Entre autres tâches, les agents de l’ONF élaborent les plans d’aménagement forestiers des forêts communales. L’annonce de nouvelles suppressions de postes a donc logiquement fait bondir la Fédération nationale des communes forestières (FNCOFOR). Dans un communiqué titré “Les forêts en péril : l’inacceptable suppression de postes à l’Office national des forêts”, la FNCOFOR déclare qu’elle “s’oppose fermement aux projets de suppression de postes à l’Office national des forêt (ONF)” qui iraient “à l’encontre des engagements pris par l’État en matière de durabilité et de protection de l’environnement”.

Avec des forêts “confrontées à de multiples défis : changement climatique, biodiversité menacée et pression foncière”, ajoute le communiqué, “les élus locaux, en première ligne, portent la voix des territoires et sont les garants d’une gestion équilibrée et responsable de ces espaces vitaux. En tant que véritables acteurs de la transition écologique, ils ont besoin d’une équipe renforcée à l’ONF pour mener à bien leur mission”.

1 minute pour couper un arbre, au moins 50 ans pour qu’il repousse

Lors de son discours de politique générale, Michel Barnier avait plutôt rapidement évoqué la question écologique. De la forêt, il n’avait pas été question, sinon pour un éloge de sa richesse en biodiversité. C’est dans un ensemble “biomasse” que le Premier ministre l’avait concrètement envisagée, en mentionnant notamment la production de carburant pour les avions. Priorité encore : la forêt, pour l’exécutif, semble d’abord perçue comme une ressource énergétique.

Après la chaleur directe et la multiplication des méga usines de fabrication de granulés dénoncée par les associations écologistes, l’accent est à présent mis sur les carburants dits “bio” : du biokérosène, comme celui du projet E-CHO dans les Pyrénées-Atlantiques (2 milliards d’euros d’investissements) ou de l’hydrogène “vert”, comme le projet Hylann à Lannemezan, dans les Hautes-Pyrénées (1,2 milliard d’euros) pour produire de l’hydrogène par électrolyse, donc avec de l’électricité… issue de la biomasse !

La biomasse disponible ne suffira pas à alimenter les projets de carburants, mais peu importe ! Il suffit de com-pen-ser. Comme si planter des arbres sur des coupes rases générait instantanément des forêts.

En toute logique (du gouvernement), malgré le bilan du plan de relance qui s’est traduit par 88 % des projets financés pour installer des plantations en plein après coupe rase, le budget des aides au renouvellement forestier serait donc maintenu. L’appel à projet, publié le 5 juillet (entre les deux tours des élections législatives) et ouvert le 15 octobre, prévoit ce maintien “dans le cadre de l’objectif de planter 1 milliard d’arbres en 10 ans”.

Signe de l’imprévoyance absolue des concepteurs de la loi de finances qui, semblant confondre météo et climat, se basent sans doute sur l’abondante pluviométrie de cette année, le budget alloué à la défense des forêts contre les incendies en forêt privée, qui était de 34 millions d’euros par an, est réduit à 0€ !

Le projet de loi de finances peut encore être amendé. Il pourra aussi faire l’objet de rectification. Une nouvelle politique forestière peut être menée, qui prendra acte de l’effondrement de la biodiversité et du puits de carbone forestier, des dépérissements, qui réévaluera la ressource en bois réellement disponible, et qui traduira en actes l’impérieuse nécessité de restaurer la nature et le service public qui en a la charge.

C’est le but des actions menées par les membres de SOS Forêt, quand ils informent sur les écosystèmes forestiers, manifestent contre les coupes rases, alertent sur des projets industriels prédateurs ou interpellent les responsables, comme l’a fait Canopée en écrivant le 7 octobre au Premier ministre et aux deux ministres en charge de la forêt. Il est encore temps, mais le temps presse.

Image : en bord de route, branches prêtes à être chargées pour alimenter les usines à granulés.

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