Atelier Argumentaire 1
L’atelier est animé par
Gaëtan du Bus, ingénieur forestier indépendant
Les questions et/ou objections abordées apparaissent en italiques.
Un nombre croissant d’initiatives collectives sont prises pour transformer des forêts en sanctuaires. Comment influencer les gouvernants pour qu’ils prennent conscience qu’il est indispensable de disposer d’espaces sauvages pour rééquilibrer la tendance à la métropolisation et l’exploitation tous azimuts de la forêt ?
Il semble plus pertinent à cet égard d’agir au niveau régional, comme le fait le collectif FRENE-REFORA en Rhône-Alpes. Par ailleurs, les actions en faveur de la libre évolution de la forêt sont aussi le signe de sociétés qui ont besoin de compenser les excès du mode de vie urbain, alors que la question principale est de remarier l’homme avec la nature.
Scénarios énergétiques et bois-énergie
Dans le cadre de la procédure judiciaire qui oppose les partisans de la centrale Biomasse de Gardanne à ses opposants, une étude de Carbone 4 affirme que le projet respecte la neutralité Carbone. En fait, de nombreuses études démontrent que la neutralité Carbone de ce type de projets est un mythe, ce qui est l’avis de Fern et du European Academy Science Advisory Concil (EASAC). Un document très pédagogique a été réalisé par un collectif ariégeois avec le soutien de Philippe Leturcq (chercheur CNRS retraité) et peut aussi être utilisé.
Il existe un large fossé entre les scénarios du type AFTERRE ou Négawatt et la réalité de ce qui semble pouvoir réellement être mobilisé à l’échelle nationale en termes de biomasse. Jusqu’à quel point est-il réellement soutenable de sortir du bois-bûche ou du bois-énergie ?
Le bois-bûche doit en particulier être appréhendé comme un outil de gestion afin de ne pas culpabiliser ses utilisateurs, puisque sa coupe est souvent importante dans nos forêts modelées par l’homme depuis longtemps pour maintenir la santé des forêts, sa diversité et sa résistance aux sécheresses grâce aux éclaircies. Il joue une fonction sociale à laquelle sont sensibles nombre d’élus. En tant que sous-produit, le bois-énergie peut aussi être un magnifique outil de popularisation des modes de gestion corrects en sylviculture.
Les rapports du type AFTERRE ou Négawatt précisent les productions de bois industriel, bois-énergie et bois d’œuvre. Il existe un écart entre les volumes de bois-énergie prévus par le scénario Négawatt et le rapport de Gaëtan du Bus et plus généralement la vision de SOS Forêt, mais Solagro estime que cet écart pourrait être comblé à terme dans de nouvelles versions du scénario. Négawatt considère aussi qu’il faut poser la question du bois-bûche, souvent brûlé dans des poêles de mauvais rendement alors qu’une amélioration de la situation permettrait aussi d’utiliser le bois en ville de façon plus massive. Pour SOS Forêt, il est clair que certains industriels sont aujourd’hui plus efficaces du point de vue du rendement de combustion, mais d’autres dimensions et d’autres acteurs doivent être pris en compte dans l’intérêt du bois-bûche (circuit très court, faibles dégâts au sol sous réserve que les techniciens forestiers soient assez nombreux et indépendants pour les contrôler…).
La littérature sur le fait que l’utilisation de la biomasse n’est pas neutre du point de vue Carbone est désormais conséquente, mais l’idée persistante que la forêt est renouvelable masque le problème réel. Il reste un énorme travail de pédagogie à mener pour montrer que l’utilisation industrielle de la biomasse forestière n’est valable ni à court terme ni à long terme. Pour cela, il faut notamment rappeler que la capacité à restocker le carbone dépend de la densité du prélèvement forestier, et qu’à l’extrême une coupe rase libère en supplément une part importante du carbone du sol.
« Avec la forêt en couvert continu, on ne s’en sortirait pas du point de vue économique. »
Il faut bien distinguer entre revenus et capital. Tirer des revenus élevés de la forêt consiste bien souvent à taper dans le stock, et il convient de suivre la forêt par des bilans économiques complets avant de juger. La futaie irrégulière s’efforce de plus de favoriser les meilleurs arbres et de réduire les dépenses de gestion, et elle est rentable, souvent plus rentable à long terme ou moyen terme que la futaie régulière. Il faut aussi prendre en compte le capital fertilité, déterminant pour la durabilité de la production, et que les coupes de régénération en futaie régulière amenuisent progressivement. De plus, les collectivités sont intéressées à gérer les conflits d’usages de leurs forêts et sont potentiellement plus tournées que les propriétaires privés vers la sylviculture multifonctionnelle. La futaie irrégulière est aussi plus pertinente pour de la transmission du patrimoine.
Pour défendre la futaie irrégulière, Pro Silva a mis en place des forêts de référence, et l’Association Futaie Irrégulière propose de visiter des parcelles.
« Il faut piloter la forêt pour l’adapter au changement climatique. »
La non-mise à nu du sol au moment de la récolte est le point de départ de la maîtrise du stock de carbone dans le cas de la futaie irrégulière, qui permet aussi de stocker du carbone profondément et durablement dans le sol. Le fait de favoriser les vieilles forêts pose la question de l’exploitabilité des gros bois, qui sont les plus stockeurs de carbone, alors que l’INRA (Institut national de la recherche agronomique) par son rapport de 2017, favorise les forêts jeunes renouvelées régulièrement. En pratique, le capital d’équilibre dépend du diamètre d’exploitabilité : dans une forêt où on laisse les arbres grossir davantage, le volume d’équilibre à maintenir est plus élevé ce qui augmente le volume d’arbres absorbant du CO2, et celui des gros bois individuellement plus efficaces pour ce stockage (outre leur intérêt majeur pour la biodiversité)
À noter qu’il existe un effet pervers des bilans bas carbone, qui doivent démontrer une additionnalité de la mesure : pour bénéficier de subventions, il faut démontrer que des pertes financières sont engendrées par tel ou tel choix de gestion favorable à la séquestration du carbone, ce qui défavorise la futaie irrégulière, le plus souvent à la fois plus rentable et plus stockeuse de carbone.
Comment défendre la naturalité partout ?
Il semble que l’on puisse augmenter la naturalité partout en augmentant tout d’abord les surfaces en libre évolution, et en adoptant une gestion moins artificielle ailleurs. Les arbres sénescents et le bois mort sont les maillons essentiels au maintien des espèces les plus sensibles et typiquement forestières (insectes, chiroptères, oiseaux). Or, particulièrement en futaie irrégulière on démontre qu’on peut à la fois favoriser la croissance des arbres les plus rémunérateurs et laisser davantage d’arbres sénescents parmi les arbres de mauvaise qualité technologique sans perte financière, et même en diminuant les risques sanitaires (prédateurs d’insectes ravageurs hébergés par le bois mort).
N’est-il pas envisageable de réconcilier les scénarios de Négawatt et du RAF (Réseau pour les alternatives forestières) sur cette base, en valorisant en priorité la forêt sous forme de bois d’œuvre ?
Il faut néanmoins veiller à ne pas trop exporter de branches pour le bois industriel et le bois-énergie, le bois-énergie étant la plus mauvaise forme de valorisation du bois. Il existe des scénarios qui poussent la production de bois jusqu’à 95 millions de mètres cubes en tirant sur l’exploitation des branches, mais ils reviennent à consommer le capital en biodiversité et en fertilité des sols. Cela pousserait à une plus importante fertilisation artificielle, ce qui reviendrait à augmenter l’empreinte carbone de la gestion forestière.
Dans le même esprit, la meilleure façon de protéger la forêt est de mettre en place de véritables circuits courts et l’argumentaire doit les défendre avec constance, notamment en rappelant leurs avantages en termes d’emploi. Ce serait la meilleure façon de lutter contre la tendance actuelle à la sanctuarisation d’une part et à l’industrialisation de l’autre.
« La gestion forestière intensive est la meilleure réponse aux situations d’impasses sylvicoles. »
Dans son usage courant, la notion d’impasse sylvicole est en grande partie un mythe. Pour créer un dialogue avec les forestiers qui n’adhèrent pas à la vision de SOS Forêt, il faut reconnaître d’abord qu’il n’est pas possible de passer la forêt française demain à 100 % en futaie irrégulière, parce qu’il existe des situations dans lesquelles la relève naturelle ne permet pas de passer outre le dépérissement. Mais cela ne doit pas enlever le cap d’une sylviculture à couvert continu, même lointain.
Pour dépasser la tendance conjointe à la sanctuarisation et à l’industrialisation, il faut notamment préciser la notion d’impasse sylvicole. Il n’existe sans doute pas d’impasse biologique réelle, mais plutôt des impasses historiques ou économiques. En cas de mortalité sans relève, la nature recréerait une forêt, mais à un rythme insatisfaisant pour la société. La notion d’impasse historique renvoie aux situations dans lesquelles la dégradation est accélérée par le traitement humain : plantations hors station, éclaircies trop fortes, taillis recépés trop longuement, etc. Dans certains de ces cas, il faut reconnaître qu’il faudra replanter, mais dans de bonnes conditions, en s’appuyant le plus possible sur la dynamique naturelle. Dans les forêts en situation de fragilité pour des raisons historiques, il faut indiquer des seuils d’exploitation afin que les propriétaires aient pleinement conscience de l’impact de certains choix de récolte sur la valeur du capital.
Dans les Bouches-du-Rhône, l’essence majoritaire est le pin d’Alep, très sobre en eau et pionnière. Il est donc régénéré en coupe rase. Le bois est très mal valorisé, car il est supposé à terme alimenter de plus en plus des centrales en biomasse ou part en papeterie. Comment adapter les principes de Pro Silva dans ce cas ?
La technique de la futaie jardinée fonctionne pour cette essence et est pratiquée en Grèce. Actuellement, la société ALCINA s’efforce de mieux valoriser le pin d’Alep, ce qui permettrait à la fois une exploitation pied par pied et non en coupe rase et la gestion individuelle de la qualité des tiges, de par le revenu généré. Il a été certifié par le Centre national de la propriété forestière (CNPF) pour la construction et la difficulté est à présent de le faire certifier par le CSTB (Centre scientifique et technique du bâtiment) pour cet usage.
Autres points
Du point de vue concret, de nombreux agriculteurs sont devenus propriétaires et il existe des aides à la plantation d’arbres dans les exploitations agricoles, mais ces agriculteurs ne disposent pas pour autant des conseils de forestiers. Il serait intéressant de créer des passerelles entre ces deux mondes pour que la transmission des savoirs soit possible, notamment dans le contexte d’un certain redéploiement de l’agroforesterie. Pour réintroduire l’arbre dans les espaces agricoles, les conseillers de l’Afac-Agroforesterie et du bureau d’études Agroof sont d’ores et déjà très compétents et il est possible d’y faire appel.
Enfin, il faudrait mieux tirer parti de la conscience écologique qui se développe notamment en France et donc développer un discours audible par une majorité de citoyens et d’entreprises, et donc ne surtout pas s’adresser uniquement au monde forestier.