Atelier 2

L’atelier atelier argumentaire 2 est animé par
Frédéric Bedel Conseiller SOS Forêt France au sein du SNUPFEN-Solidaires (Syndicat national unifié des personnels des forêts et de l’espace naturel) et
Régis Lindeperg Coordinateur SOS forêt France et co-président de Adret Morvan.

Les questions et/ou objections abordées apparaissent en italiques.

Comment défendre la libre évolution ? À quoi sert la biodiversité ?
En France, seul 1 % de la surface forestière fait l’objet d’une protection légale forte (réserves et cœur de parc national), mais du fait du développement de la mécanisation, on compterait autour de 11 % de surfaces ingérables pour des raisons de pente, d’accès impossible, d’instabilité du terrain, de proximité de hameaux, etc. C’est ce qui sauve la naturalité des forêts dans le Morvan ou ailleurs. C’est en partie en raison de ces coûts d’exploitation trop élevés d’une partie du territoire forestier que les scénarios les plus intensifs de prélèvement plafonnent celui-ci au ¾ de la production biologique estimée en France métropolitaine. Ne faudrait-il pas reconnaître cet état de fait et acter la libre évolution de ces espaces plutôt que de les classer hors sylviculture dans les plans de gestion ? Cette situation est en effet instable et risque de se retourner au gré des décisions des propriétaires.
Sur le fond, il faut rappeler que la libre évolution sauvegarde les ressources génétiques et favorise la résilience des forêts. Elle peut ainsi inspirer les décisions de sylviculture à partir de ce que l’on observe de la nature. Du reste, la libre évolution est nécessaire du point de vue de l’étude scientifique des forêts naturelles.
De façon plus générale, il existe un argument éthique en faveur de la biodiversité, qui a une valeur en soi, notamment si l’on se souvient que 85 % de la biodiversité des forêts est composée des cortèges saproxyliques et que 40 % de ces espèces sont menacées à l’échelle européenne. Il s’agit aussi de favoriser les cortèges associés. Dans un monde à 80 % artificialisé, il existe de plus pour la population une nécessité esthétique, voire spirituelle, vitale, à disposer d’espaces de pleine nature. C’est particulièrement le cas en Europe de l’Ouest où les grands espaces manquent.
Dans ce contexte, il faut se souvenir que la biodiversité n’appartient pas au propriétaire privé et qu’elle peut être utilisée de façon légale pour limiter son champ d’action. Dans de nombreux cas, les forestiers peuvent donc se rapprocher des naturalistes pour mieux connaître la richesse des milieux qu’ils gèrent et les espèces protégées. De plus, la forêt n’est pas hermétique et les espaces en libre évolution pourraient relever des trames vertes et bleues prévues par le Grenelle de l’Environnement, bien que les 11 % de la forêt française qui sont dans cette situation soient pour le moment très mal répartis sur le territoire.
Par conséquent, il vaudrait mieux que la sanctuarisation de ces surfaces soit le résultat de choix délibérés plutôt que la conséquence de l’état de la technique et de l’économie. Du point de vue du propriétaire, la libre évolution peut ainsi être une véritable décision de gestion, à la différence de la non-gestion de fait, qui peut être remise en cause.
Certains propriétaires utilisent leur liberté de choix pour prendre la décision de ne rien faire et de créer ainsi des réserves de biodiversité. En dépit des incitations fortes à la mobilisation de bois introduites par la Loi agricole et forestière de 2014, les DDT (Directions départementales des territoires) n’ont d’ailleurs pas le droit d’imposer à un propriétaire de couper du bois. Concrètement, il suffit souvent d’être à l’écoute des propriétaires pour débloquer les situations, ce qui vaut aussi pour le choix d’une gestion d’inspiration naturelle.

« La libre évolution remet en cause la sécurité (incendies, chutes de branches, etc.) et exclut les visiteurs. »
Ces arguments sont en partie faux. Les peuplements variés résistent mieux aux tempêtes et le risque d’incendie est le plus modéré dans les forêts naturelles : le meilleur pare-feu est un pare-feu arboré.
Par ailleurs, la plupart des surfaces en libre évolution de fait et/ou protégées sont ouvertes aux visiteurs, à l’exclusion des RBI (Réserves biologiques intégrales) en forêt publique. Cela est justifié par un risque de chute de grosses branches voire d’arbres qui devient effectivement non négligeable dans un peuplement très âgé en libre évolution. En revanche la libre évolution ne s’oppose en rien à la nécessité de faire du lien avec la nature, sans s’en exclure : de sorte que les principes des RBI (Réserves biologiques intégrales) et des PNN (Parcs naturels nationaux) ou PNR (Parcs naturels régionaux) sont complémentaires. Il peut donc être jugé tout à fait possible et souhaitable de créer des circuits de randonnée dans des zones en libre évolution, moyennant une surveillance et une mise en sécurité des abords des sentiers, et/ou une information et une sensibilisation aux risques (prudence redoublée en cas de rafales de vent ou de neige lourde, …).

Comment améliorer le fonctionnement d’une forêt gérée multifonctionnelle ? Comment accompagner et convaincre les aménageurs alors qu’ils objectent souvent que la transition de la gestion depuis la futaie régulière ou le taillis vers la futaie irrégulière est difficile et entraîne des risques économiques ? Comment répondre aux personnes qui jugent que la futaie irrégulière est sale alors que la futaie régulière est jugée la plus belle ?
En France, la forêt protégée ne représente que moins de 1 % du massif national, et la libre évolution de fait de quelque 11 % de celui-ci ne justifie pas que l’on fasse n’importe quoi ailleurs, notamment afin de garantir la multifonctionnalité propre à la forêt française. De plus, ces surfaces protégées et en libre évolution sont très mal réparties dans l’espace et il faut améliorer la qualité de la gestion des forêts exploitées. Il faut absolument éviter d’aller vers le modèle anglo-saxon qui juxtapose des espaces très protégés et de vastes surfaces exploitées de façon industrielle.
Il convient donc d’aller vers des modes de gestion différenciés. La forêt est en effet porteuse de fonctions écologiques, sociales et économiques qu’il faut concilier. De ces trois grandes fonctions, la première est la seule qu’il soit impossible de supprimer, car elle est le moteur de la production. Il est possible d’imaginer des forêts sans fonction sociale, mais en pratique, la fonction économique est la plus simple à supprimer. Le principe de gestion en couvert continu permet de concilier ces trois fonctions à très petite échelle (voir détail ci-dessous).
Le fait que la futaie irrégulière soit jugée « sale » est un enjeu culturel qui dépend de la relation à la nature, comme le montre l’ouvrage La peur de la nature de François Terrasson. Un travail d’explication et d’éducation suffit le plus souvent à passer outre cette vision.

« Si on laisse du gros bois et du bois mort, ça va attirer la vermine. Si on laisse du très gros bois, la forêt ne se renouvellera pas. On perd de l’argent en faisant des gros bois, qui émettent du carbone. La futaie irrégulière dévalorise la forêt. »
Ces arguments sont tous réfutables. Plus il y a de gros bois et de bois mort, et plus le cortège d’insectes est complet et moins il y a d’épidémies. Le bois mort est ainsi une assurance-vie pour la forêt.
La décomposition du carbone des bois morts en incorpore bien plus dans le sol qu’elle n’en libère. Le stockage y est bien plus long que dans le papier, par exemple. Plus le bois mort est gros et plus il stocke durablement du carbone. De façon générale, les gros bois sont ceux qui stockent le plus de carbone, qui présentent le plus de microhabitats et ils sont aussi souvent plus rentables du point de vue économique. En effet, la croissance en volume des gros bois augmente de façon exponentielle jusqu’à des âges et dimensions plus avancés que les termes économiques courants, et pour les arbres de bonne qualité le bois mature est nettement meilleur technologiquement. Il faut cependant tenir compte du fait que les coûts de sciages sont aussi croissants pour les arbres de très grande taille, dans l’état actuel des équipements de sciage disponibles sur le marché.
Par ailleurs, il faut rappeler que la plantation émet du carbone pendant les premières années, alors que la régénération naturelle en puise. Pour défendre les gros bois et les bois morts, il convient aussi d’arrêter de raisonner en volume et de favoriser les raisonnements en valeur, qui est supérieure dans le cas de la futaie irrégulière. Ce terme de valeur est sans doute à préférer à celui de capital, qui est peut-être mal approprié pour désigner du vivant. La valeur peut en effet être naturelle, sociale, spirituelle ou économique. Du point de vue économique, il existe par ailleurs des tentatives pour comptabiliser la valeur extra-financière de la biodiversité, qui pourrait être valorisée en termes de comptabilité ou de fiscalité. Mais jusqu’où faut-il monétiser ces avantages ?

En quoi les forêts peuvent-elles répondre aux besoins de sécurisation de l’approvisionnement en eau et lutter contre l’imperméabilisation ?
L’atelier ne s’est pas penché sur les réponses à cette question faute de temps. Cette question est néanmoins rappelée ici car jugée très importante par les participants.

« Les forêts constituées de mélange d’essences créent des difficultés pour les essences exigeantes en lumière et ont tendance à supprimer les milieux ouverts. Leurs bois sont difficiles à commercialiser. Les feuillus se vendent mal en bois d’œuvre, à part le chêne. »
La gestion au long cours des futaies irrégulières montre qu’elles ne s’opposent pas au renouvellement des essences de lumière, avec des bases de données et des exemples de réalisation nombreuses et anciennes de plusieurs décennies, notamment au sein du réseau de démonstration de l’AFI (Association futaie irrégulière). Le mélange d’essences améliore la qualité des arbres, la résistance aux pathogènes et aux herbivores et dans une certaine mesure l’utilisation de l’eau par les arbres en conditions de sécheresse. Le mélange d’essences est aussi pertinent car certaines espèces se potentialisent entre elles.
Par ailleurs, la gestion multifonctionnelle n’interdit pas de maintenir des zones ouvertes en futaie irrégulière. Cette question dépasse du reste de loin la seule question de la foresterie : milieux agricoles dépourvus de pelouses et de bocage, espaces artificialisés, etc.
Du point de vue économique, le fait de disposer d’essences variées permet sur le moyen et le long terme d’amortir les variations de prix d’une essence à l’autre. Cela apporte de la souplesse par rapport au marché en équilibrant les prises de risques.
En pratique, il faut pour commercialiser des lots hétérogènes jouer sur la surface de coupe et regrouper les coupes entre propriétaires ; dans les grandes forêts, il faut amortir le coût du tri en augmentant les volumes. Dans les petits bois, il est souvent préférable de vendre en bord de route et/ou garantir à l’ETF (Entreprise de travaux forestiers) qu’elle pourra passer plusieurs années de suite. Si ce n’est pas possible, il est parfois préférable de tout valoriser dans le même produit. En outre, la valorisation des forêts mélangées et des feuillus dépend de la chaîne de valeur toute entière, et SOS Forêt agit pour développer les filières courtes et locales afin que ses premiers maillons captent le plus de valeur possible.

« La futaie irrégulière, c’est difficile à gérer et ça coûte plus cher à exploiter. Cette gestion crée des difficultés pour planifier les récoltes. Elle est trop compliquée, élitiste, et exclut les propriétaires de la gestion de leur forêt. »
La gestion est en effet plus complexe dans le cas de forêts en transition, mais elle est simple lorsque la futaie irrégulière est déjà en place. La contrepartie est que cette gestion est intéressante pour les forestiers, les bûcherons et les propriétaires. C’est un travail de qualité, et il est donc normal qu’il soit plus complexe. Et en effet, la futaie irrégulière est difficile à planifier, mais une grande partie de la tâche de gestion est alors d’exercer un contrôle régulier qui se substitue en grande partie à une planification, exercice toujours aléatoire en forêt.
Comment répondre aux déséquilibres causés par la grande faune ?
Il est préférable d’aborder la question sous l’angle de la biodiversité que sous l’angle de la production, car on peut toujours inciter à transformer la forêt en plantant des essences moins appétentes ou sensibles aux dégâts liés à la faune. Le déséquilibre est aujourd’hui majeur en France métropolitaine entre la végétation forestière et les trois grandes espèces d’ongulés sauvages les plus répandues (sanglier, chevreuil, cerf) et il peut y avoir des battues administratives forcées dans certaines conditions. Dans certains cas, il faut réellement planter, mais la solution théoriquement la plus satisfaisante serait de faciliter le retour voire de réintroduire les grands prédateurs. En l’attente, il faut soutenir la chasse correctement gérée et la régulation des élevages de gibier. La question risque d’être aggravée par le changement climatique, qui va réduire les chances de survie de nombreux semis naturels. À noter également que la chasse est autorisée dans la plupart des RBI (réserves biologiques intégrales), parce qu’il faut y réguler les ongulés pour garantir une évolution de la végétation forestière la plus proche possible de celle relevant d’un fonctionnement naturel.

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