Jean-Claude Génot

“La loi Forêt du plus fort”

Jean-Claude Génot
Écologue membre des JNE ,
journaliste et écrivain pour la Nature et l’Écologie


S.O.S. forêt = Sauvegarder Ou Supprimer la forêt L’humanité est dans un bus qui roule à tombeau ouvert vers un précipice.  Il n’y a pas de conducteur mais chacun de nous peut soit accélérer soit freiner par ses choix de vie, la surconsommation ou la sobriété. Notre civilisation technophile et expansionniste du toujours plus nous mène vers ce que le philosophe et artiste Robert Hainard nommait « la saturation et l’horreur d’un camp de concentration généralisé ».

Nous en avons une démonstration de plus avec la politique forestière française instaurée depuis le Grenelle de l’environnement et la loi Forêt en cours de discussion qui risque de livrer la forêt aux traders du bois. Pour François Terrasson, penseur radical de la nature : « On perçoit comme forêt ce qui ne porte plus de façon apparente la marque de l’ordre humain. » Sommées de travailler plus pour une économie tyrannique, les forêts vont devenir des champs d’arbres, quadrillées de cloisonnements et de routes pour les machines. Pense-t-on réellement que la biodiversité, cette nature qui s’adapte à nos activités parce qu’elle flatte notre orgueil de régent du monde naturel, est le bon moyen d’aborder la question centrale de la forêt ? Non bien sûr, seule la nature dans ce qu’elle a de sauvage, de libre, de spontanée et de résistante à l’homme, peut être le seul indicateur des limites à notre puissance.

Que se passe-t-il dans les forêts des Vosges du Nord  (800 km2 dont 70% de forêts publiques  ayant un fort déficit de gros bois ; seulement 7% de forêts matures) où je travaille comme écologue? Les coupes pour le bois énergie sont apparues, elles ne respectent pas toujours le nécessaire maintien au sol des branches de moins de 7 cm de diamètre. Ce bois énergie pour chaufferies  concurrence le bois bûche pour les habitants. Les cloisonnements d’exploitation trop souvent à moins de 30 mètres d’intervalle dénaturent la forêt. Les rotations entre deux coupes sont plus courtes et nous sommes en route vers une décapitalisation et une baisse des diamètres d’exploitabilité. Des coupes sont pratiquées le long des chemins forestiers pour alimenter le Moloch du bois énergie sous couvert d’assainir la voirie et de protéger la « biodiversité » mais pas celle liée aux arbres coupés… Des aménagements forestiers classent en régénération des parcelles avec un diamètre moyen trop faible. La mécanisation avec notamment les abatteuses, apparue après la tempête Lothar, se généralise avec un principe non durable : adapter la forêt aux machines. Un plan de développement de massif pour les forêts privées est en cours dans un secteur où 1200 ha de forêts spontanées, de 50 à 70 ans, ont été classées en ZNIEFF. Des signaux inquiétants surtout après avoir connu une embellie liée, en Alsace, à la fin des coupes rases et des plantations il y a un peu plus d’une décennie.

Face à la loi Forêt du plus fort sous-tendue par l’implacable raisonnement économique à court terme nous allons à marche forcée vers une industrialisation de la forêt, une « modernisation » du niveau de celle que l’agriculture a connu il y a cinquante ans. Le Plan Pluriannuel Régional de Développement Forestier qui prévoit un agrandissement des unités de gestion est à la petite propriété forestière privée ce que le remembrement fut à l’agriculture paysanne pendant les trente glorieuses (voir le texte sur le PPRDF : Naturalité, la lettre de Forêt sauvage. Face à cette offensive des idolâtres de la croissance économique, il faut résister comme le propose le collectif SOS Forêt car il y a une alternative à l’application du modèle agronomique à la forêt. Les acteurs du territoire du Parc naturel régional des Vosges du Nord l’ont exprimé dans la nouvelle Charte de ce Parc forestier (62% de la surface) en se fixant deux objectifs : augmenter le degré de naturalité des forêts et développer une économie du bois locale à forte valeur ajoutée. S’il fallait un nouveau slogan à une politique forestière, ce serait « produire mieux tout en augmentant le degré de naturalité et la gestion participative ». La forêt nous enchante, le champ d’arbres nous déprime. N’oublions pas que les hommes ne vivent pas seulement de pain mais aussi de rêve et de poésie. Je ne résiste pas à encourager SOS Forêt à méditer cette dernière citation de Robert Hainard : « la protection de la nature cherche à s’insérer dans le système actuel quand, au contraire, elle doit nous aider à sortir de ce système. Je pense même que le jour viendra où les gens pousseront les protecteurs de la nature à coups de pied dans le derrière en leur disant : mais vous ne faites rien, vous n’avez pas de courage ; allez-y, défendez le peu de nature qu’il nous reste ! ».