Destruction de la biodiversité : le gouvernement organise l’impunité

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Rien n’y a fait. Ni les alertes répétées des scientifiques sur l’effondrement de la biodiversité, ni les campagnes des ONG, ni la récente directive européenne qui durcit la répression des crimes environnementaux n’ont empêché une majorité de député·es de voter, avec un article enfoui dans la loi d’orientation agricole, l’impunité pour les destructeurs d’habitats protégés.

Seulement 20 % des habitats naturels d’intérêt communautaire situés en France hexagonale ont été évalués en bon état de conservation par l’Observatoire français de la biodiversité (OFB). Et ce chiffre est dans doute optimiste : le rapport de l’OFB de 2023 s’appuie sur des observations réalisées entre 2013 et 2018 (elles sont réalisées par période de six ans).

La préservation des habitats naturels est donc un impératif absolu, mais cela n’a manifestement pas ému les député·es qui ont adopté l’article 13 de la loi d’orientation agricole, avec une majorité d’une voix. Si le Sénat confirme cette majorité, ce texte instaurera un encouragement à passer outre la protection des espèces sauvages et de leurs habitats.

Le texte voté le 24 mai 2024 prévoit en effet que seules les atteintes illicites aux espèces, habitats naturels et sites géologiques protégés commises de manière intentionnelle seront sanctionnées pénalement et qu’elles seront présumées non-intentionnelles si elles sont commises dans le cadre d’une obligation légale ou règlementaire, d’une autorisation administrative quelconque ou en application d’un plan de gestion forestière, alors que les plans ne contiennent rien sur les espèces protégées. Ultime provocation, en cas d’atteinte irréversible la préfète ou le préfet pourrait… prescrire aux délinquants des stages obligatoires de sensibilisation aux enjeux de l’environnement.

Alors qu’il est déjà extrêmement difficile de prouver l’intentionnalité des infractions environnementales, autant dire qu’il suffira de plaider l’ignorance pour être exemptés de sanctions. Si les voyous des travaux forestiers se réjouissent, ce n’est sûrement pas le cas de la majorité des professionnels, dont cette loi annonce la dévalorisation de leurs métiers en rabougrissant les connaissances nécessaires pour l’exercer. Pourquoi continuer à exiger des forestiers qu’ils connaissent la forêt et y voient autre chose que des mètres cubes de bois, qu’ils perdent du temps, donc de la rentabilité financière, à vérifier si des chauves-souris nichent au creux d’un arbre ? Peu importe que les populations de chiroptères aient chuté de 38% en dix ans, que sur les 36 espèces présentes sur le territoire, 20 figurent sur la liste rouge des espèces menacées de l’UICN et que les conséquences de la disparition de ces dévoreuses de moustiques fassent frémir.

Biodiversité d’intérêt communautaire en France : résultats de la troisième évaluation des habitats et espèces de la directive « Habitats, Faune, Flore » (2013-2018).

Les forêts naturelles sont aujourd’hui aujourd’hui globalement moins impactées par la destruction des habitats naturels que les milieux aquatiques et les prairies , mais l’accélération de l’industrialisation de l’exploitation forestière, à l’instar du processus qui a transformé l’agriculture française depuis les années 60, peut faire craindre qu’elles ne rattrapent les autres milieux.

La nomination le 11 avril dernier de Jean-Michel Servant, le président de France Forêt Bois, comme délégué interministériel à la forêt, au bois et à ses usages, était un très mauvais signal, après sa lettre au ministre de la Transition écologique, que SOS Forêt avait dénoncée : à la suite de la FNSEA, il s’en prenait à l’Office français de la Biodiversité, responsable selon lui d’un “climat d’insécurité insupportable”.

Plutôt que renouveler son soutien aux agents de l’OFB et prôner l’exemplarité des pratiques forestières, le promoteur du droit de détruire aura donc été récompensé et le recul environnement réclamé par le lobby du bois obtenu, alors que la France aurait dû au contraire durcir la législation pour appliquer la directive européenne du 11 avril 2024.

Face à la criminalité environnementale (quatrième activité criminelle mondiale après le trafic de stupéfiants, la traite d’êtres humains et la contrefaçon, elle croît de 5 à 7% par an), les institutions européennes ont durci les sanctions à l’encontre des auteurs des infractions. Parmi les huit nouvelles infractions sanctionnées figurent l’importation d’espèces invasives, le commerce illicite du bois et l’épuisement illégal des ressources en eau, qui concernent directement la forêt.

En cas d’atteinte à l’environnement, la directive prévoit des sanctions pénales alourdies et le renforcement des moyens d’enquête, avec des ressources humaines et matérielles suffisantes. Elle instaure le principe d’une formation spécialisée et régulière des juges, des procureurs et des personnels de justice. Elle prévoit l’exclusion des entreprises délinquantes des marchés publics, des amendes pouvant atteindre 5% de leur chiffre d’affaires.

Les États membres ont deux ans pour appliquer cette directive. L’article 13 de la LOA, qui dépénalise les atteintes à l’environnement par voie d’ordonnance législative à intervenir, lui est manifestement contraire. Même si le législateur français finit par se conformer au droit européen, les dégâts que pourraient occasionner l’incitation actuelle à tenir pour négligeable la biodiversité pourraient être considérables d’ici 2026, vus les moyens déployés par les industriels du bois : course au gigantisme des engins, projets de mégascieries et d’usines à carburant ou à granulés…

La loi d’orientation agricole sera examiné par le Sénat en séance publique du 24 au 28 juin 2024.

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